Plusieurs membres de l’OEI ne brillent pas par leur respect de la liberté d’expression et de démocratisation. Ils usent déjà de lois sur le blasphème à des fins politiques, pour interdire tout débat contradictoire et asseoir leur pouvoir. Un journaliste comme Ali Mohaqiq Nassal a dû fuir l’Afghanistan parce que dans son journal Droit des femmes, il a osé appeler à l’arrêt de la lapidation. Verdict : insulte à l’islam et une condamnation capitale. Dans de nombreux pays, tout débat intellectuel et social est ramené par les autorités à un débat religieux, manière pratique d’interdire tout point de vue critique sur la gestion du pays ou d’empêcher de distiller des idées sur l’évolution des mœurs.
Ce genre de résolution donne plus de latitude aux États déjà peu respectueux des droits de l’homme pour continuer leurs politiques discriminatoires à l’égard des minorités religieuses, des dissidents et des laïques. On peut également se demander si des multinationales ne seront pas tentées de mettre en place des formes de censure préalable pour ne pas se mettre en porte à faux avec une résolution internationale. On a vu par le passé de grandes sociétés internationales filtrer leur contenu afin de ne pas froisser leurs marchés, comme dans l’affaire du dessinateur Kroll, dont certains dessins licencieux ont été censurés par Apple avec lequel le dessinateur avait passé un accord pour une application sur iPhone.
Enfin, Reporters sans frontières ne peut que regretter l’aspect politique de la résolution, fruit de la cuisine interne des Nations unies. Elle rappelle le danger pour les États membres à instrumentaliser pour leurs propres agendas des questions aussi sensibles : cela fait plusieurs années que certains pays du conseil des droits de l’homme poussent à l’adoption d’un tel texte. C’est pour eux un premier résultat. L’organisation restera très vigilante dans les mois qui viennent au projet d’une seconde résolution susceptible de mener à l’élaboration d’un instrument international exécutoire interdisant la diffamation des religions.
Reporters sans frontières se dit inquiète de voir une organisation comme le Conseil des droits de l’homme des Nations unies perdre sa crédibilité : alors qu’un pays comme l’Iran, qui n’a de leçons à donner à personne en matière des droits de l’homme, présente sa candidature au Conseil et qu’elle a pour l’instant toutes les chances d’être reçue, l’adoption de la résolution sur le blasphème suscite de nombreuses interrogations sur la crédibilité de cette institution. Nous espérons que le Conseil des droits de l’homme ne connaîtra pas le triste destin de son prédécesseur, la Commission des droits de l’homme qui, victime de la politique politicienne, a dû se saborder en 2006.
En décembre 2009, l’Irlande a adopté une loi sur le blasphème, notion équivoque, libre à de nombreuses interprétations, qui condamne à une amende (jusqu'à 25 000 euros) le délit de blasphème. En Pologne depuis plusieurs années, le code pénal et la loi audiovisuelle imposent aux médias polonais « le respect des valeurs chrétiennes ». L’atteinte au sentiment religieux est punissable, selon la gravité, d’une simple amende à une peine de deux ans de prison.
Par Reporters sans frontières, sur le site : fairelejour, le mercredi 31 mars 2010
Reporters Sans frontières s'inquiètent de l'érosion galopante de la liberté d'expression
Nous relayons un communiqué de Reporters Sans frontières, posté sur "Faire le Jour":
RSF réagit à la résolution sur la diffamation des religions du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.Reporters sans frontières se déclare fortement préoccupée par la résolution votée au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le 25 mars 2010, prenant position contre la « diffamation des religions ». Le texte a été présenté par l’Organisation de la conférence islamique (OEI), sous la houlette du Pakistan.
Sous prétexte de veiller à une meilleure conciliation entre la liberté d’expression et la liberté de croyance, certains États mettent en place un dispositif qui n’a pour autre objectif que d’interdire toute critique des religions, et notamment de l’islam, déclare Reporters sans frontières. C’est un processus dangereux qu’il faut enrayer. Le respect de la liberté d’expression est tout aussi fondamental que celui de la liberté de croyance. L’un ne peut exister sans l’autre.
Caricature, liberté artistique, droit d’opinion, toutes les sphères de la vie intellectuelle qui constituent la liberté d’expression se trouvent mises en danger par une telle résolution. Elle a pour conséquence malheureuse de brider les échanges au sein même des religions alors qu’elles invoquent un besoin de protection. Sera-t-il possible d’avoir un débat d’idées au sein d’une religion sans risquer de se voir condamné pour diffamation par le groupe dominant qui cherche à imposer ses vues ?